CHAPITRE X

 

Le professeur Spricey ôta ses gants en caoutchouc et se tourna vers la douzaine de biologistes qui avaient envahi le laboratoire.

Spricey n’affichait ni un air triomphant, ni un air navré. Il était calme, étrangement lucide, en pleine possession de ses facultés. Et l’on se demandait comment il pouvait conserver cet extraordinaire sang-froid, devant le problème aussi ardu qui se posait à sa sagacité.

Sa voix reflétait l’expression même de son état d’esprit.

— Messieurs, si je vous ai convoqués d’urgence, c’est parce que je tiens un atout capital, susceptible, non pas de nous donner la victoire immédiate, mais du moins de diriger nos efforts en ce sens, au lieu de prendre d’inutiles mesures, comme nous le faisons actuellement, hélas. Vous venez des différents points de la planète pour m’appuyer dans mes travaux. Car nous aurons besoin de tout notre savoir, de toute notre ingéniosité, pour découvrir la clef de cette énigme extra-terrestre.

Spricey s’approcha d’une sorte de table d’opération, sur laquelle on ne distinguait absolument rien. Mais de solides et larges courroies retenaient « quelque chose ». Quelque chose qu’on devinait, sans plus, et qu’on pouvait toucher.

C’est ce que firent d’ailleurs les biologistes sur l’invitation de Spricey. Leurs mains hésitantes coururent sur une substance molle, légèrement flasque, qui rappelait, à s’y méprendre, la peau d’un homme.

Mais c’était difficile de se prononcer à ce sujet et les biologistes hochèrent la tête.

— Curieux… balbutia l’un d’eux.

— Formidable ! dit un autre.

Loreth se contenta de grimacer, en songeant encore à la rapidité avec laquelle il avait répondu à l’invitation de Spricey.

Celui-ci laissa échapper un léger sourire ironique, en contemplant la perplexité inscrite sur les visages de ses collègues.

— Messieurs, fit-il, avant l’arrivée du premier d’entre vous, je me suis livré sur ce… cette chose, à un examen approfondi. Oh ! n’allez pas croire que ce fut un examen aisé. Le plus perfectionné des microscopes aurait été incapable de découvrir la substance dont est faite ce corps. Car c’est un corps, Messieurs. Un corps humain.

Les biologistes se regardèrent, stupéfaits, puis le professeur Loreth passa sa main sur son crâne dénudé.

— Un corps humain, dites-vous ? Comment diable pouvez-vous si hâtivement formuler un jugement, alors que ce… enfin cette chose que vous avez examinée est invisible ?

— Que faites-vous de l’organe du toucher ? Un aveugle, en palpant divers objets, est capable de les reconnaître. Un homme normal peut en identifier quelques-uns. Mais à l’un ou à l’autre, il lui sera facile de reconnaître un corps humain. C’est pourquoi je puis affirmer que notre agresseur a toute l’apparence humaine. Il possède une tête, des yeux, un nez, une bouche, des bras et des jambes. Il est donc, en tous points, semblable à nous.

Le biologiste de Moscou avança ses mains en avant et protesta :

— Vous n’allez tout de même pas croire, mon cher Spricey, qu’il s’agit d’un Terrien ?

— Rassurez-vous, je n’ai jamais affirmé cela. Mais tout laisse supposer qu’il existe, dans d’autres Mondes, des êtres semblables à nous. Quand je dis semblables, voyons par là la forme générale du corps. Car j’ai eu la curiosité de mesurer notre bonhomme : sa taille n’excède pas un mètre vingt, du bout des pieds au sommet du crâne. En tout cas, toutes les proportions sont gardées et rien ne prouve que nous n’avons pas affaire à un solide gaillard.

— Un Pygmée, balbutia Loreth. Un Pygmée venu d’une autre planète… Extraordinaire !

Il y eut un instant de silence, de recueillement général, pendant lequel Spricey en profita pour remettre ses gants.

Il s’avança alors vers la table d’opération, et tous les biologistes en blouse blanche l’entourèrent.

— Je vous ai attendus pour commencer mes expériences, parce que je n’ignore pas que nous luttons pour la même cause. La Science n’a pas de frontières… Messieurs, ce, appelons cela un homme, si vous le voulez… cet homme donc a été électrocuté par la brigade spéciale de Mac-Corry, chef du district de Washington. Remercions donc ces valeureux garçons, qui, au péril de leurs vies, ont réussi là où d’autres avaient échoué. Cet homme, disais-je, est mort depuis un peu plus de sept heures. Néanmoins, il nous sera possible d’examiner une goutte de son sang, car, grâce à la promptitude de Mac-Corry, le cadavre m’est parvenu un quart d’heure après. J’ai donc fait aussitôt une préparation, que j’ai placée sous une lamelle. Vous pouvez vous approcher de ce microscope. Messieurs…

Le biologiste chinois leva la tête.

— Vous avez examiné votre préparation, professeur ?

— Oui. Mais je tiens à confronter mes résultats avec les vôtres. C’est pourquoi je vous demande, à votre tour, de vous pencher sur ce microscope.

Loreth, le premier, eut l’honneur de coller son œil à l’oculaire du microscope électronique. Il opéra rapidement un réglage et des disques biconcaves apparurent, empilés comme des pièces de monnaie. Leur couleur était d’un jaune très pâle.

Il distingua aussi des petits corps d’aspect brillant, légèrement plus gros que les disques jaunes, mais sans forme apparente. Au centre de leur masse, se précisait un noyau, simplement arrondi, ou rappelant un court chapelet.

Enfin, il était facile de constater la présence d’un liquide légèrement ambré, voilé par des fibres très fines.

Loreth termina son examen et fronça les sourcils. Son regard assez intrigué se porta vers ses collègues.

— Hallucinant ! Cette préparation a la même composition que le sang humain. On y distingue des globules rouges, ou hématies, des globules blancs, ou leucocytes, de la fibrine et du sérum. Mais en observant cette goutte de sang coagulé, il est très facile de remarquer que les proportions varient avec les proportions normales. Alors que le nombre des hématies est évalué à cinq millions par millimètre cube de sang, ce nombre est ici considérablement réduit. Il en est de même des leucocytes. En définitive, nous nous trouvons en présence d’un être présentant les symptômes d’une anémie au dernier degré.

Après Loreth, les autres biologistes se penchèrent à leur tour sur le microscope. Leurs déclarations concordèrent avec celle du savant français.

— Merci, Messieurs, fit Spricey sur un ton visiblement satisfait. Mon examen personnel m’a permis, à moi aussi, de constater l’étonnante pauvreté de ce sang, qui, de toute évidence, manque d’oxygène, car il est noir. Ce n’est donc pas celui d’un homme normal.

Loreth résuma ces différentes observations en une hypothèse qu’il mûrissait depuis quelques minutes.

— En somme, il y a toutes probabilités pour que notre agresseur vienne d’une planète où l’oxygène n’entre pas dans les mêmes proportions que celles de notre atmosphère. Dans ce cas, je me demande comment son organisme peut résister.

— Il résiste, mon cher collègue. Et il résiste d’autant plus qu’un anémié a besoin d’air pur. D’ailleurs, la composition du sang de notre ennemi me permet d’affirmer qu’il lui est possible de vivre sans danger dans notre atmosphère, tout simplement parce que ses poumons ont l’habitude d’absorber de l’oxygène.

Les yeux en amande du biologiste japonais étincelèrent. Le Nippon s’approcha de la table d’opération et étendit ses mains sur le corps invisible.

— Pour que nous puissions étudier plus minutieusement cet être extraordinaire, il faudrait pouvoir lui redonner son apparence véritable. Car je ne pense pas qu’il soit invisible depuis sa naissance.

— Je ne le pense pas non plus, affirma Spricey. Mais j’ai essayé plusieurs réactifs. Rien n’y fit. Je vais donc tenter devant vous une autre expérience, celle de la transfusion sanguine.

Dès lors, les regards anxieux des biologistes ne quittèrent pas le savant américain. Celui-ci ouvrit un placard et se saisit d’un récipient étiqueté, plein d’un liquide rougeâtre.

La transfusion s’opéra en un temps record, et, penchés au-dessus de la table, les biologistes attendirent l’apparition d’un symptôme susceptible de laisser croire à la réussite de l’expérience.

Mais les minutes passèrent et rien ne se produisit. Spricey perdit patience.

— Allons dîner, Messieurs. Nous reprendrons nos expériences tout à l’heure.

Les savants sortirent du laboratoire, en grimaçant. Jamais un tel phénomène ne les avait autant intrigués, mettant en échec leurs connaissances, pourtant fort développées.

Mais soudain, Spricey poussa un cri terrible. Il allait refermer la porte du laboratoire lorsqu’il la rouvrit brutalement.

— Je l’ai vu, hurla-t-il, je L’ai vu !

— Que se passe-t-il ? demanda Loreth en revenant avec précipitation sur ses pas.

Spricey était livide, tremblant. Ses lèvres s’agitaient, sans qu’il puisse articuler une parole compréhensible.

Son émotion s’apaisa enfin.

— Je vous assure, je L’ai vu, là, sur la table d’opération.

L’Américain invita ses collègues à revenir vers le laboratoire. Il ferma la porte et omit volontairement d’éclairer la pièce.

— On n’y voit rien ! grommela le biologiste anglais.

— Je sais, Messieurs. Mais laissez vos yeux s’accoutumer à l’obscurité… D’ailleurs, je vais mettre en route l’éclairage à l’infrarouge, doublé par un écran à polymorphisme. De cette façon, il sera plus facile d’observer les ténèbres, sans déformer les choses.

A tâtons, mais sachant parfaitement où il dirigeait ses pas, Spricey se rendit près d’un tableau d’ébonite. Il abaissa un interrupteur.

Aussitôt, un ronronnement se fit entendre et une extraordinaire lumière bleue envahit la pièce, donnant aux objets leurs formes normales mais avec un relief accru.

— Fantastique ! hurlèrent les biologistes.

Sur la table opératoire, une silhouette apparaissait, floue, vague, mais néanmoins visible. On aurait dit un homme. Mais un homme avec des yeux immenses, démesurément ouverts.

Il était nu. Autant qu’on puisse en juger, sa peau présentait une curieuse couleur blanchâtre, comme celle d’un albinos.

— Messieurs, articula Spricey, au moment de refermer la porte, j’ai éteint la lumière électrique. Le laboratoire était donc plongé dans une demi-obscurité et alors, il m’a semblé distinguer une forme sur la table d’opération. J’en ai immédiatement déduit que cet être extraordinaire n’était visible que LA NUIT ! Cette lumière à l’infrarouge, doublée d’un écran à polymorphisme, permet de distinguer les choses que nos yeux d’humains ne peuvent déceler dans les ténèbres les plus absolues. Autrement dit, il s’agit là d’une sorte de lumière radar, qui détecte les objets et les restitue sous leur forme naturelle. Mieux encore, il faut comparer cette dernière invention des savants américains à un appareil radioscopique perfectionné.

— Je comprends… je comprends… murmura Loreth. Cet être n’est visible qu’en pleines ténèbres, et non à la lumière électrique ou solaire.

Et il se pencha davantage sur le fantastique cadavre entouré d’un halo bleuté…

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